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Pique-mi et mange-moi...
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15 octobre 2010

Résistance !

Ma vie en gériatrie...

Le premier jour, une dame est décédée. Je ne la connaissais pas et je ne l'avais jamais vue. On l'a découverte dans son lit après le déjeuner. C'était prévisible. En la voyant allongée là, dans une chambre encore pleine de vie, les draps défaits, la chemise de nuit froissée, je me suis rendue compte que je n'avais jamais vu de mort. Alors que ma collègue sortait prévenir l'équipe, seule face à elle, je lui ai caressé le bras, déjà tout froid. J'ai senti monter en moi une boule d'émotion et mes yeux se mouiller. Et puis on s'est affairées à la déshabiller et la laver. Un peu comme si le temps avait ralenti dans cette chambre, le silence était ponctué de petites remarques de ma collègue qui s'est remise à lui parler doucement, avec humour et tendresse. Une autre soignante est descendue pour déposer un baiser sur la joue de la dame et la saluer une dernière fois. Avec des gestes délicats, on l'a préparée, on a choisi de l'habiller avec un joli tailleur, on lui a mis une touche de rouge à lèvre, on lui a bandé la mâchoire pour maintenir sa bouche fermée.

Ensuite, fin de cet étrange moment de transition, le médecin est arrivé. Avec peu de délicatesse, il a fait des remarques brutales sur l'odeur régnant dans la chambre, a constaté le décès et arraché la pile du pacemaker d'un coup de scalpel.
Quand je suis sortie de la chambre, ma collègue m'a remerciée d'être restée. J'étais touchée, avec l'impression qu'on avait vécu quelque chose ensemble. Ah oui, c'était aussi ma première toilette.

Mais attention, tout le monde ne meurt pas dans la maison de retraite ! Et pour cause, ma résidente fétiche est centenaire. Et plus que ça, elle a les idées très claires et beaucoup de souvenirs à partager. Elle passe ses journées à lire. Des romans Harlequin mais aussi le Journal de la Résistance. Au fond de son étagère sont accrochées des décorations et elle porte au cou une médaille du Vercors. Âgée d'une trentaine d'année lors de la 2e guerre mondiale, elle entre dans la résistance. Avec son mari, ils sont arrêtés par les français, jugés sommairement et incarcérés à Paris. Un matin, on l'appelle pour qu'elle fasse ses adieux à son mari qui est fusillé sous ses yeux, puis on la remet aux Allemands. Elle est déportée dans un camp de travail qui deviendra camp d'extermination au cours de ses deux ans d'emprisonnement. Cette histoire qui pour nous est écrite dans les livres, dans les leçons d'école, est inscrite au quotidien dans la vie de cette femme. Tout y renvoie, la médaille autour du cou, les revues, les décorations, le témoignage vivant et sans fioritures donné au cours d'une toilette. Elle dit ne jamais avoir regretté d'être entrée en résistance, avoir continué à lutter dans le camp et l'avoir dit aux Allemands : "qu'ils en avaient eu un, mais qu'ils n'auraient pas les deux". Et puis la guerre s'est terminée, des Suédois sont venus libérer son camp et elle a pu rentrer en France. Par la suite elle a rencontré un autre homme avec qui elle a eu des enfants et continué sa vie.

Alors que dire après une semaine en gériatrie ? Que c'est riche, très riche.
Et puis plus largement ? Qu'il faut rejoindre les manifestations demain, partout en France, et soutenir coûte que coûte le mouvement de lutte contre les inégalités et l'immoralité du gouvernement.

La lucha sigue !

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Commentaires
L
Bonjour, aux hasards d'une recherche sur Google concernant les causes Psy de mon infection urinaire (^^) me voici sur ce blog. Je me pique à lire et j'en veux encore et me retrouve sur cette page....<br /> <br /> Plein de souvenirs remontent. Comme le dit une autre intervenante : on n'oublie pas sa "première fois".<br /> <br /> Ma première fois fut à mes 16 ans à peine, un stage dit "d'observation". Le personnel débordé, une gentille mamie arrivée la veille pour infarctus. C'est le matin, visite médicale, lits à faire soins perfusions pansements etc et la mamie décompensé dans sa chambre, seule. On ne peut plus rien pour elle, cœur trop abimé. Pas de famille sur place, elle est seule au monde à ce moment là. Le personnel me désigne pour rester près d'elle, puisque je ne sais pas faire grand chose encore. La porte se referme je me retrouve seule devant Regina. Elle porte un masque à oxygène et respire mal, ses pupilles se dilatent et elle ne parle pas. Son teint me semble jaune gris, son front est moite, je m'approche et lui prends la main : sa main aussi est toute moite. Je lui pose un gant de toilette humide et frais sur le front, je m'assois sur le bord du lit et ne lâche plus sa main, je lui caresse le bras et la regarde. Je suis mal, angoissée , terrorisée, paniquée, pétrifiée, saisie de tout mon être par ce que je vois. Mes yeux sont hypnotisés par ses pupilles qui se dilatent, mes oreilles se remplissent du son terrible de sa respiration haletante et saccadée, souffrance souffrance souffrance : voilà ce que me crient ses yeux et son souffle. <br /> <br /> <br /> Mon instinct me dit : fout le camp ! Sauve toi ! Ton petit cœur à toi n'est pas prêt pour voir ça ! C'est trop dur ! Mais ma raison me dit : obéit ! On t'a dit de rester là donc tu restes là. Ma conscience s'y met aussi : tu ne vas pas laisser cette femme mourir seule tout de même ! Tu as choisit ce métier pour ca ma grande !<br /> <br /> Mais je ne me sentais ni grande ni rien, juste très très petite devant ce grand mystère de la mort. Devant cette porte que je pressentais en train de s'ouvrir devant moi. Peut être avais je peur de me faire aspirer avec elle ? <br /> <br /> Je n'ai jamais oublié moi non plus et depuis j'ai tenu la main de tant d'autres. J'ai oublié leur nom et leur visage tellement il y en a eu. Quelques fois je me demande si eux se souviendront de moi, si c'est possible qu'ils soient quelque part de l'autre coté de cette grande porte mystérieuse. Parfois je me demande s'ils seront là pour me serrer la pince quand je passerai moi aussi la porte. J'ai bien envie d'y croire en tout cas ! Et je suis sûre que ce jour là je me souviendrai de chacun, en plongeant mon regard dans le leur.
L
Et ben ça c'est la première fois que tu me fais pleurer, je t'admire, moi je passerai mon temps à pleurer, les vieux m'émeuvent autant que les enfants, cette même fragilité, avec en plus l'insoutenable certitude de la fin ! Et en plus tu nous achève avec Léonard ! A part ça tu vas bien ?
A
C'est con, mais ça me redonne espoir dans le genre humain...<br /> Et puis putain, Léo Cohen...
M
Ce doit être émouvant de vivre l'histoire à travers cette dame...moi c'est ce que j'aime, le vécu de chacun,ça nous apporte énormement...!
C
On se souvient toujours de sa première rencontre avec la mort de l'autre........ Nîmes, service de cardio 1990........
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